Actualités

LUIS SEPULVEDA

16 Avril 2020

Un fauteuil pour Luis Sepúlveda

Depuis aujourd’hui il y a un fauteuil vide dans le théâtre de mon cœur. C’est le fauteuil de Lucho Sepúlveda, un fauteuil qui a toujours été disponible pour le recevoir avec les honneurs, à toutes les représentations et partout où la vie pouvait nous réunir.

Mon amitié avec Luis Sepúlveda est intimement profonde et remonte au temps où Lucho n’était pas encore Luis Sepúlveda. Je faisais mes premiers pas sur les planches, alors qu’il était jeune élève à l’Institut National. Il est devenu un habitué de notre théâtre qui venait de voir le jour dans une vieille bicoque de Lastarria 90.

Un jeune qui, comme tout bon lycéen de l’éducation publique, n’avait pas un sou pour acheter son ticket d’entrée mais qui, enthousiasmé par notre style insolent et libertaire, profitait de l’absence de contrôle et du bref tour d’horizon que l’on faisait sur le public, sans préoccupation de la recette, et avec pour seul intérêt, notre amour immense du théâtre.

Jusqu’à ce qu’un jour, l’Aleph décida, comme mesure de bonne administration, de mettre fin à l’anarchie et ordonna aux jeunes chargés de la billetterie de ne laisser entrer personne sans billet, comme tout bon théâtre qui se respecte. Ce jour-là, bien sûr, Lucho se présenta accompagné d’une jeune fille sur laquelle il avait porté son dévolu et qu’il voulait impressionner en l’invitant à un spectacle de l’Aleph et en partageant la fin de soirée avec les acteurs. Un préliminaire magistral aux jeux de l’amour.

Il fut la première victime de notre nouvelle mesure. ʺNon Monsieur, la maison ne fait plus créditʺ. La jeune fille ouvrit son sac et trouva juste ce qu’il fallait pour payer une entrée. L’Aleph,  restant malgré tout généreux, fit une exception et accepta de vendre deux tickets pour le prix d’un.

Cette honte que Lucho Sepúlveda porta toute sa vie et qu’il me resservit à chaque fois qu’on prenait une cuite ensemble, marqua une amitié qui nous lia pour toujours, joignant nos destins et nous rendant complices d’une histoire qui nous unissait depuis nos origines.

Nous sommes tous deux nés en province, lui à Ovalle et moi à Colín, première station de la voie ferrée reliant Talca à Constitución. Arrivés à Santiago, nous avons étudié à l’Institut National, tous deux avec notre sang Mapuche, moi pour mes ancêtres Picunche, et lui par le nom de sa mère, Calfucura. Lui, racontant la vie dans ses romans et moi, la représentant sur scène. Moi, faisant du théâtre dans les quartiers populaires et lui, accompagnant le Président Allende dans sa croisade pour le Chili. Et dans l’exil, toujours deux indiens traversant l’océan, pour conquérir l’Europe d’un revers de la main avec la plume et avec le théâtre : nos armes invincibles pour la paix.

Puis nous fûmes deux oiseaux migrateurs, errant de par le monde, et nous nous sommes souvent retrouvés. Pas autant qu’on le souhaitait, mais nous n’avons jamais perdu l’opportunité de nous parler à distance, et encore moins de faire la bringue et de profiter de la vie quand elle nous donnait la possibilité de nous retrouver… Que ce soit dans sa maison de Gijon en Asturies ou chez moi à Vitry, mais aussi à chaque fois que notre mission de conteurs d’histoires nous réunissait.

Nous avons eu aussi la chance de travailler ensemble et de vivre des moments inoubliables. Quand Lucho, passant par Paris, joua dans ʺLe Kabaret de la Dernière Chanceʺ, interprétant un personnage que j’ai créé pour l’occasion… Quand j’ai joué en Argentine dans son film "Nowhere" et que nous bavardions des nuits entières sous les étoiles du ciel de Salta.

Nous avons vécu ensemble l’aventure de la vie et, comme tout le monde le sait, Lucho fut toujours un aventurier, un globe-trotteur audacieux et persévérant, courageux et loquace. Alors, quand il écrivait ʺLe vieux qui lisait des romans d’amourʺ ou ʺHistoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à volerʺ et tous ces contes et récits qui peuplent sa narration, il n’a fait que sublimer les histoires qui ont croisé son chemin, et qui ne lui ont pas laissé d’autre choix que de les publier pour conquérir les cimes de la littérature universelle.

Oui, nous étions amis. Alors, quand j’ai appris le 29 février qu’il était malade, devenant ainsi un des premiers créateurs victimes de la pandémie, j’ai ressenti qu’on m’internait moi-même à l’Hôpital Universitaire Central des Asturies et qu’on me plongeait dans le coma sous respiration artificielle, luttant pour la vie. Et aujourd’hui, quand j’ai appris son départ, j’ai senti au fond de moi-même que le souffle de la vie s’échappait dans un voyage sans retour.

Aujourd’hui, j’ai le cœur brisé et le fauteuil vide. Mais il sera toujours réservé pour le jour où le Lucho de ma jeunesse et le Luis Sepúlveda de toujours s’échappera de l’immortalité pour venir faire un petit tour au Théâtre Aleph, où une entrée non payante lui est garantie, par ordre du commandant de bord.

ÓSCAR CASTRO

16 avril 2020

Personne ne parlera mieux de notre fraternité que mon ami Lucho

Un jour, alors que nous répétions une scène du film que nous faisions ensemble - parce qu’Oscar, alias Le Cuervo ne s’unit pas, ne se réunit pas, mais fusionne, selon le dicton chilien, et il partage ainsi tout ce qu’il sait avec une incomparable générosité -, je lui ai raconté une vieille rancœur qui faisait partie de ma géographie sentimentale : un jour, il y a de cela de nombreuses mais très nombreuses années, je n’ai pas pu entrer à l’Aleph à Santiago, parce que je n’avais pas assez d’argent pour payer le ticket. Ce qui suit pourrait être un conte, mais ça n’en n’est pas un.

Je m’explique : La lune était énorme sur le désert de Cafayate, à la frontière entre l’Argentine et la Bolivie, et Oscar Castro tournait une scène nocturne de Nowhere avec l’acteur argentin Ariel Casas. Ils jouèrent de façon stupéfiante et une prise suffit pour que la cameraman dise "C’est bon, excellents tous les deux", et je n’eus plus qu’à acquiescer.
Alors, Oscar et Ariel se démaquillèrent, retirèrent leur costume, et à la sortie de la roulotte sous un ciel aux mille étoiles, Oscar m’embrassa. Nous partîmes voir le troupeau de guanacos qui jouaient aussi dans le film et qui, va savoir pourquoi, n’acceptaient que les ordres d’Oscar et crachaient au visage de leur gardien à chaque fois que ce dernier tentait de reprendre sa place de chef de troupeau.
En regardant les étoiles et les guanacos, Oscar me dit : “Mon frère, je veux que tu saches que, depuis hier, ou avant-hier, tu as entrée libre dans toutes les salles où l’Aleph se présentera.”. Vous savez ce que ressent le réalisateur d’un film quand un acteur a donné plus que ce qu’on lui demandait, quand il a donné tant d’humanité et de richesse au personnage que l’auteur s’étonne lui-même de ce qu’il a écrit ?
Deux années plus tard j’allais à la remise de diplôme de mon fils.
Sa thèse consistait en un court-métrage intitulé Un ami de mon père, et c’était Oscar, le Cuervo, avec son inépuisable capacité d’être ce que le scénario exige, avec son talent pour donner la vie à ce qui naît dans l’incertitude.
Le directeur de l’école de cinéma de Munich, Wim Wenders, vint me voir à la fin de la projection pour me dire : “Ce type, ton ami, c’est un monstre, quel acteur !”.
Et naturellement, je lui ai répondu : “Il faut savoir où trouver ses amis”.

Tu ne sais pas combien tu vas me manquer

Le Cuervo martyrisé

Una butaca para Luis Sepúlveda

Desde hoy hay una butaca vacía en el teatro de mi corazón. Es la butaca de Lucho Sepúlveda, que desde siempre ha estado disponible para recibirlo con honores en cualquier función y en cualquier lugar donde nos junte la vida.

Mi amistad con Luis Sepúlveda es entrañable y se remonta a los tiempos en que Lucho todavía no era Luis Sepúlveda. Yo daba mis primeros pasos en las tablas, cuando un joven alumno del Instituto Nacional se convirtió en un visitante obligado de las funciones que nuestro recién formado Teatro Aleph realizaba todos los días en la vieja casona de Lastarria 90 que lo vio nacer. Un joven que como buen estudiante de la educación pública no tenía plata para comprar su entrada y que, entusiasmado con nuestra forma de teatro irreverente y libertario como él, aprovechaba el nulo control y la vista gorda que hacíamos, despreocupados del billete y enfocados en el inmenso amor al teatro.
Hasta que un día, como una medida de buena administración que no pasó de ser un fugaz saludo a la bandera, en el Aleph decidimos que había que poner fin a la chacota e instruimos a los chicos de la boletería que no iba a entrar nadie que no pagara su entrada, como en cualquier teatro decente que se hiciera respetar. Ese día por supuesto que llegó Lucho y más encima venía acompañado de una chica en la que había puesto todos sus empeños y a la cual quería impresionar invitándola a una obra del Aleph y a compartir con los actores después de la función. Una movida magistral en el juego del amor.

Fue la primera víctima de la nueva ley. No señor, la casa no da crédito. La chica abrió su cartera y juntando peso tras peso le alcanzó para una sola entrada. El Aleph se puso caritativo y haciendo una excepción aceptó el dos por una.

Ese bochorno que Lucho Sepúlveda se encargó toda la vida de echarme en cara cada vez que nos íbamos de copas, marcó una amistad que nos uniría para siempre, juntando nuestros destinos y haciéndonos cómplices de una historia que nos hermanó desde nuestros orígenes.

Los dos nacimos en provincia, él en Ovalle y yo en Colín, primera estación del ramal de Talca a Constitución, llegamos a Santiago y estudiamos en el Instituto Nacional; los dos con sangre mapuche, yo por mis ancestros picunches y él por el apellido Calfucura de su madre; él narrando la vida a través de sus novelas y yo representándola sobre el escenario; yo, haciendo teatro en las poblaciones y él acompañando al Presidente Allende en su cruzada por Chile; y los dos en el exilio, dos indios que atravesamos el océano para, en una vuelta de mano, conquistar Europa con la pluma y con el teatro, nuestras armas invencibles de la paz.

Para ser dos indios pájaros errantes migrando por el mundo, nos vimos harto. No tanto como quisiera, pero no perdimos oportunidad para hablarnos a distancia y menos para irnos de juerga y calentar la vida cuando ella nos dio la maravillosa posibilidad de reencontrarnos tantas veces, en su casa de Gijon en las Asturias, en la mía de París y en cualquier lugar donde nos juntó el oficio de contar historias.

Tuvimos también la suerte de trabajar juntos y vivir experiencias inolvidables, como cuando el Lucho, de paso por Paris, actuó en ʺLe Kabaret de la Dernière Chanceʺ, haciendo un personaje que escribí especialmente para la ocasión; o cuándo en Argentina actué en su película "Nowhere", conversando noches inolvidables y estrelladas bajo el cielo de Salta.

Vivimos juntos la aventura de la vida y, como todos saben, Lucho fue siempre un aventurero y trotamundos audaz y persistente, valiente y lenguaraz. Por eso cuando escribió ʺEl viejo que leía novelas de amorʺ, La "historia de una gaviota y del gato y que le enseñó a volar " y la zaga de cuentos y narraciones  que pueblan su narrativa, no hizo más que sublimar sus propias historias que la vida le puso en el camino y que no le dejaron más opción que publicarlas para conquistar las difíciles cumbres de la literatura universal.

Sí, fuimos muy amigos. Por eso, cuando el 29 de febrero recibí  la noticia del contagio, transformándose en uno de los primeros creadores víctimas de la pandemia, sentí como si fuera a mí mismo a quien internaban en el Hospital Universitario Central de Asturias y me mantenían en coma inducido luchando por la vida. Y hoy, cuando supe de su partida, fui yo mismo el que sentí como se escapaba el soplo de la vida en un viaje sin retorno.

Hoy tengo el corazón roto y la butaca vacía. Pero estará siempre reservada para cualquier día en que al Lucho de mi juventud y al Luis Sepúlveda de siempre le dé por escaparse de la inmortalidad y venir a darse una vuelta por el Teatro Aleph, donde por derecho propio, no paga.

ÓSCAR CASTRO

16 de abril de 2020

Nadie hablara mejor de nuestra hermandad que mi amigo Lucho

Un día, mientras ensayábamos una de las escenas de una película que hicimos juntos –porque Oscar alias el Cuervo no se une, no se funde sino que se “arrejunta” conforme al decir chileno, y desde esa posición comparte con incomparable generosidad todo lo que sabe–, le conté una lejana bronca que era parte de mi geografía sentimental: una vez, hace muchos, pero muchos años, no pude entrar al Aleph en Santiago porque no me alcanzaba para pagar la entrada y, lo que sigue, podría ser un cuento pero no lo es. Me explico: Había una luna llena enorme en el desierto de Cafayate, en la frontera entre Argentina y Bolivia, y Óscar Castro rodaba una escena nocturna de Nowhere junto al actor argentino Ariel Casas. Los dos lo hicieron estupendamente, bastó una sola toma para que la camarógrafa exclamara “vale”, “grandes los dos” y a mí me correspondiera decir que la escena quedaba en la película. Entonces, Óscar y Ariel pasaron a quitarse el maquillaje, a dejar el vestuario, y a la salida de la  roulotte [casa rodante] y bajo un cielo que mostraba millones de estrellas, Óscar me abrazó y nos fuimos a mirar un rebaño de guanacos que también participaban en la película y que, vaya uno a saber por qué diablos, solo aceptaban órdenes de Óscar y al domador lo escupían con entusiasmo cada vez que intentaba recuperar su papel de mandamás del rebaño. Mirando las estrellas y los guanacos, Óscar me dijo: “Hermano, quiero que sepas que desde ayer, o desde antes de ayer, tienes entrada libre en todas las salas donde se presente el Aleph”. ¿Saben lo que siente el director de una película cuando un actor ha hecho más de lo que uno quería, cuando le ha dado tal humanidad y riqueza a un personaje que uno mismo se asombra de lo que ha escrito? Dos años más tarde fui a la graduación de mi hijo. Como trabajo de tesis presentó un cortometraje titulado Un amigo de mi padre, y ahí estaba Óscar, el Cuervo, con su inagotable capacidad de ser lo que un guion exige, con su talento para dar vida a lo que nace como una incierta posibilidad. El director de la escuela de cine de Munich, Wim Wenders, al final de la proyección se me acercó y me dijo: “Ese tipo, tu amigo, es un monstruo; qué pedazo de actor”. Y yo, naturalmente, contesté: “Uno sabe dónde buscar a sus amigos”.

Luis Sepúlveda

No sabes cuanto me vas a faltar.

El cuervo martirizado,